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Blog consacré à l'analyse des textes de Mylene Farmer

L'Âme Stram Gram (annoté)

Publié le 18 Avril 2008 par Mysterfrizz in En bref


Trois réseaux sémantiques recouvrent le texte du premier extrait d’Innamoramento. Celui de la confession, d’abord, celui de la sexualité, de manière diffuse, cachée, et enfin celui de l’essaim d’abeille. La chanson, dont le titre est un possible souvenir de Françoise Hardi, évoque dès le titre l’idée du hasard, du tirage au sort. Le sexe, pratiqué avec le premier venu, entraîne une confession sur l’oreiller qui atteint la même valeur curative qu’une psychanalyse. Ce partage de l’âme trouve alors son expression parfaite dans le modèle symbiotique de la ruche, où chaque unité n’est rien d’autre que la partie d’un grand tout qui la dépasse.

 

En moi, en moi toi que j’aime,

Dis-moi, dis-moi quand ça n’va pas,

Il n’y a que ça[1] qui nous gouverne,

Dis-moi combien de fois ?

Partager mon ennui le plus Abyssal[2],

Au premier venu qui trouvera ça banal

J’ouïs[3] tout ce que tu confesses,

Et l’essaim[4] scande l’ivresse

J’ouïs tous ceux que tu condamnes

T’éreintent, te fond du charme :

C’est « l’Âme-Stram-Gram »[5]

En moi, en moi toi que j’aime,

Dis-moi, dis-moi quand ça n’va pas,

Il n’y a que ça qui nous gouverne,

Dis-moi combien de fois

En moi, en moi toi que j’aime

Dis-moi, dis-moi quand ça n’va pas,

Immisce et glisse l’abdomen[6]

Dans l’orifice à moi[7]

Des absents, un Bourdon[8], une oreille amie,

Confidences, sur divan on se psychanalyse[9]

J’ouïs tout ce que tu susurres,

Et l’essaim bat la mesure[10],

J’ouïs tes oedipes complexes,

Et l’essaim se manifeste :

C’est « l’Âme-Stram-Gram »

 

Âme-Stram-Gram,

Pique et pique et colégram

Bourre et bourre et ratatam,

Âme-stram-gram,

Pique[11] dame,

Âme-stram-gram pique, pique moi dans l’âme[12],

Bourrée bourrée de nœuds mâles[13],

Âme-stram-gram pique dames[14]

 



[1] Le pronom peut aussi bien renvoyer au « en moi » qu’au « dis-moi », autrement dit, autant au rapport sexuel qu’à la confession. Les deux pôles corps/âme se voient donc irrémédiablement liés. Reste la possibilité qu’il faille lire ici le « ça » au sens freudien du terme, l’instance pulsionnelle.

[2] On notera la majuscule qui fait de l’Abysse en question un lieu quasi mythique, originel. En ce sens la rime avec banal crée un flagrant effet d’antithèse. Les Abysses de l’âme ont besoin d’un autre pour être remis en proportion, et donc devenir acceptables. « Mes moindres soupirs se métaphysiquent » écrit Mylène dans L’amour n’est rien.

[3] Le texte dans son ensemble est basé sur des jeux homonymiques : J’ouïs/jouis ; confesse/con fesses/ ; l’essaim/les seins ; t’éreintent / tes reins te ; susurres/ suce 

[4] Tout le texte fonctionne autour de l’image de la ruche : essaim, bourdon et l’idée de piqûre. Dans ses brouillons, Mylène a d’ailleurs envisagé toute une série de jeux de mots entomologiques.

[5] Jeu de mot autour du jeu de tirage au sort « Amstramgram », mais c’est une âme que l’on va ici piocher : le premier venu n’est pas qu’un corps pour ébats érotiques, il apporte beaucoup plus. Le rythme répétitif de la chanson est d’ailleurs censé évoquer et la comptine et les ébats des partenaires.

[6] On retrouve ici le lexique de la ruche, puisque le dard des abeilles ne fait qu’un avec leur abdomen, ce qui explique que leur piqûre entraîne leur mort.

[7] Expression incorrecte, à lire dans le contexte ludique, enfantin qui est celui de la comptine. On notera au passage que les comptines farmeriennes sont généralement revues et corrigées sur le mode pervers.

[8] Avec la majuscule, le « Bourdon » ici peut renvoyer au mâle de l’abeille, le « faux-bourdon », ou au mal-être, voire même au son grave de la cloche de messe, qui pour une lectrice de Baudelaire, ne peut qu’évoquer les plaintes de l’âme souffrante.

[9] Unique allusion textuelle directe à la psychanalyse dans l’œuvre farmerienne, relayée par le jeu sur le complexe d’Œdipe un peu plus loin. Il serait passionnant de traquer dans l’œuvre farmerienne les traces d’une connaissance des écrits psychanalytiques, alors même que l’auteur explique n’avoir pas eu le désir d’aller vers ce mode de compréhension de soi. L’allusion au « verre fêlé » dans Redonne-moi en particulier est une image empruntée directement à Freud pour définir l’esprit du névrotique.

[10] Jeu homonymique qui évoque la structure crescendo de la chanson : « et les cymbales à mesure » ?

[11] Dans ce contexte de tirage au sort, l’idée de pique dame évoque le verbe anglais « pick », qui signifie choisir. Choisis la dame, comme dans  « pick a card ». « Pick la dame de pique », bref,  « Choisis moi »…

[12] Les trois premiers vers sont ceux de la comptine originale, la suite est revisitée par Mylène. La piqûre, qui fait partie du jeu sur l’imaginaire des abeilles, n’est pas non plus sans évoquer l’idée de l’addiction. La drogue qu’on s’injecte dans l’âme, c’est l’amour, ou l’idée de l’amour. Il y a un état de manque affectif qui est un état de manque au sens médical du terme. Pour ce genre d’analogie, on relira par exemple « Serais-tu là »

[13] L’expression est sadienne.

[14] Le passage du singulier au pluriel joue sur l’idée de la piqûre unique chez l’abeille. Ici, cela se voit démenti, la piqûre peut-être un partage intense, mais n’en demeure pas moins reproductible à l’infini avec d’autres. L’oreille amie, au petit matin, s’en ira vers un autre orifice, une autre fleur.

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