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Blog consacré à l'analyse des textes de Mylene Farmer

Dessine-moi un mouton (annoté)

Publié le 19 Avril 2008 par Mysterfrizz in En bref


Cet appel enfantin à l’imagination pour lutter contre « l’absurdité du monde » s’inspire du conte d’Antoine de Saint-Exupéry, Le Petit Prince. Le Petit Prince vit sur une planète minuscule, où il partage son temps entre la contemplation des couchers de soleils, l’entretien de sa rose, et celui de ses trois volcans, dont un éteint. Usé par les caprices de sa fleur trop fière, il quitte sa planète, et voyageant à travers l’espace, fait quelques rencontres pittoresques (avec un businessman, un allumeur de réverbère ou encore un géographe…) avant d’arriver sur Terre, au beau milieu du désert, où il rencontre le narrateur, un aviateur en panne. Il lui fait alors la fameuse requête : « S’il vous plaît, dessine-moi un mouton ». L’animal, une fois sur la planète du Petit Prince, mangera les pousses de Baobab qui menacent la planète d’explosion. Il est livré dans sa boîte, avec une muselière pour ne pas dévorer la rose. Après avoir raconté à l’aviateur ses errances sur Terre, aux cours desquelles il aura compris ce qui rend sa fleur « unique au monde » grâce aux conseils d’un renard « apprivoisé », le Prince, mordu par un serpent des sables, va pouvoir retrouver sa planète. L’aviateur a gagné par cette rencontre « des étoiles qui savent rire », parce qu’un Petit Prince invisible y demeure. Mais la peur mine la fin du conte, puisque le narrateur a oublié l’attache sur la muselière du mouton. La rose reste menacée de mort, et le mouton, loin d’être un symbole protecteur, devient soudain plus menaçant qu’il n’y parait. 

 

Quelle solitude

De mourir

Sans certitude

D’être au moins

 

Une particule

De vie

Un point minuscule

Utile[1] à quelqu’un

 

Quelle solitude

D’ignorer

Ce que les yeux

Ne peuvent pas voir[2]

 

Le monde adulte

Isolé[3]

Un monde abrupt[4]

Et là, je broie du noir

 

Dessine-moi un mouton

Le ciel est vide sans imagination[5]

C’est ça

Dessine-moi un mouton

Redevenir l’enfant que nous étions

Dessine-moi un mouton

Le monde est triste sans imagination

C’est ça

Dessine-moi un mouton

Apprivoiser[6] l’absurdité du Monde

 

Quelle solitude

De se dire

Que la morsure

Du temps n’est rien

 

Le rêve est bulle

De vie[7]

Un bien majuscule

Utile au chagrin[8]

 

Déconfiture[9]

Des pépins

Mais je veux croire

En l’au-delà

 

Et vivre est dur

Toujours un choix

Mais je jure

Que le Monde est à moi

 

Il est à moi…

Il est à moi…

Il est à moi…

Il est à moi… Le Monde[10]



[1] « Je possède une fleur que j’arrose tous les jours. Je possède trois volcans que je ramone toutes les semaines (…). C’est utile à mes volcans, et c’est utile à ma fleur, que je les possède. Mais tu n’es pas utile aux étoiles » fait remarquer le Petit Prince au businessman.

[2] « L’essentiel est invisible pour les yeux, on ne voit bien qu’avec le cœur », explique le Petit Prince à l’aviateur, « ce qui embellit le désert, c’est qu’il cache un puit quelque part.».

[3] Le monde adulte est dit isolé parce qu’on s’y sent profondément seul. C’est cet état de solitude qui envahit le narrateur au début du compte, juste avant qu’il ne s’écrase dans le désert. On comprend que dans le conte, son isolement au milieu de nulle part est la représentation métaphorique de sa solitude parmi les hommes.

[4] Un monde donc à pic, escarpé, comme un obstacle, mais aussi un monde « à brute », un « monde brutal », comme dans Comme j’ai mal.

[5] Deux constructions sont possibles, « soit le ciel est vide et n’a pas d’imagination », soit « le ciel est vide si on n’use pas de son imagination ». On préfèrera la deuxième solution qui traduit le dénouement du conte de Saint-Exupéry : si l’aviateur n’accepte pas de se servir de son imagination, le Petit Prince est mort, tué par le serpent. Le ciel est vide, et le monde est triste. Si au contraire il accepte de le faire, il peut installer un rire enfantin dans les étoiles, et donner à la vie, voire à la mort, du sens.

[6] Le choix du terme « apprivoiser » dans ce contexte ne peut que faire penser au passage au le Petit Prince apprivoise le renard, qui devient son ami. Ici, il s’agit de se faire une amie de l’absurdité, c'est-à-dire de la comprendre, de l’accepter… Et donc de la transcender par l’imagination. Les mots se font rempart contre le sentiment de l’absurde.

[7] Ce rêve « bulle de vie » est troublant. La vie et le rêve sont en général opposés de manière radicale dans les textes de Mylène. C’est que la vie rêvée, imaginaire, est peut-être la seule vie qui soit effectivement viable. Du coup, cette bulle de vie n’en reste pas moins utile au chagrin, une fois le réveil venu.

[8] Ce couplet est en symétrie avec le second. L’adjectif majuscule est vu comme l’opposé du minuscule, traduisant une vision de la vie comme un langage, comme une phrase.

[9] Jeu d’homonymie « des confitures » qui vient faire écho avec l’idée des pépins. Le malheur de la vie se double donc d’un jeu littéraire qui par l’imagination évoque les paradis sucrés de l’enfance et des recettes de grand-mère. Mylène évoque le souvenir sucré du sirop d’érable comme un des rares restes de sa jeunesse, et l’enfance est indéfectiblement liée à l’image grand-maternelle, figure protectrice mais morte dans Lisa-Loup, apaisante dans la biographie farmerienne, mais qui apaise en amenant au cimetière. C’est cette même ambiguïté que le texte exprime ici.

[10] La répétition a ici valeur incantatoire, elle vise à rendre vraie l’affirmation, mais aussi, plus directement (performativement pour reprendre le lexique des grammairiens), elle est un moyen de s’approprier le mot « Monde », qui acquiert ici une majuscule le mettant ainsi en relief dans le texte.

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P
Merci à vous<br /> de nous faire partager votre passion<br /> pour l'allumeur de rêves<br /> qu'est le petit prince:)))<br /> <br /> Puis-je vous présenter<br /> un extraordinaire allumeur de rêve du Québec, Canada<br /> par la scène, poète-conteur...<br /> <br /> ENTRE MONTREAL ET PARIS<br /> SIMON GAUTHIER<br /> LE VAGABOND CELESTE<br /> <br /> courriel de Simon Gauthier<br /> du 3 avril 2013<br /> le lendemain de son spectacle<br /> LE VAGABOND CELESTE<br /> à la maison de la culture<br /> cote des neiges, montreal<br /> <br /> Salut Pierrot,<br /> <br /> Tu dormais mon cher,<br /> sur ta paillasse<br /> hier au soir<br /> tu dormais sur la plancher<br /> de ton ami chansonnier<br /> <br /> tu dors dans les draps de ton doctorat<br /> <br /> pendant que je conte<br /> l’histoire de cet homme vagabond<br /> de cet écho de ta vie<br /> de cet inspirant récit<br /> d’un homme voyageur<br /> vêtu de lumière<br /> <br /> Pendant que le vagabond céleste marche<br /> parmi les étoiles<br /> tu peux dormir mon ami<br /> tu peux dormir<br /> <br /> dans l’esprit des gens<br /> réunis,<br /> tinte tinte les clefs<br /> tinte<br /> tinte<br /> le rêve<br /> Le vagabond céleste<br /> habille de chaleur<br /> <br /> le corps désir de ceux qui rêvent et de ceux qui pleurent<br /> ceux qui rêvent et de ceux qui pleurent<br /> <br /> Bonne journée Pierrot<br /> <br /> Simon<br /> <br /> ——<br /> <br /> réponse de Pierrot<br /> <br /> Cher Simon<br /> <br /> Oui, hier soir, je dormais avec, dans mes bras, la biographie de Cervantes<br /> de Jean Canavaggio. Ce Cervantes qui a écrit Don Quichotte à 53 ans alors qu’il était en prison et qu’il lui manquait un bras.Qui aujourd’hui ferait confiance à un homme de 53 ans en prison à qui<br /> il manque un bras?:))))) Seul un impossible rêve permet un tel surgissement d’impossible réalité.<br /> <br /> On m’a rapporté l’immense délicatesse artistique avec laquelle tu redonnes<br /> espoir à ceux et celles qui écoutent le conteur-poète de la Côte nord.Autant Mon ami Woodart que mon compère de bibliothèque Raymond le philosophe ont été invités par ta passion de passeur de rêves<br /> à naviguer vers leur rêve personnel. Tu as fait de ma démarche un conte post-moderne qui risque d’enflammer les humains comme des lampadaires. Tu es vraiment devenu un allumeur de<br /> coeurs-réverbères. Woodart a été plus qu’épaté. Lui qui me connait à l’usure depuis 40 ans, il a noté ta force à coudre des tableaux de mots par de la lumière de rêve dans laquelle il a reconnu ta<br /> signature d’une très grande maturité créatrice.<br /> <br /> Une vie d’artiste, c’est une longue marche<br /> et je te vois enjamber des continents<br /> un flambeau à la main.<br /> <br /> Mes 64 ans bien au calme<br /> dans leurs bottines<br /> qui se préparent à repartir le 15 juin<br /> saouls de liberté, te souhaitent<br /> <br /> Bonne route internationale camarade, car,<br /> comme Félix Leclerc, un jour, le succès t’attendra<br /> ici au Québec à un de tes retours d’Europe.<br /> <br /> Pierrot<br /> www.enracontantpierrot.blogspot.com<br /> www.reveursequitables.com<br /> www.simongauthier.com<br /> <br /> sur youtube<br /> simon gauthier conteur video vagabond celeste<br /> <br /> longue vie à vous<br /> et à votre blogue :)))<br /> <br /> Pierrot
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